Christo Vladimiroff Javacheff dit Christo
The pont neuf wrapped, project for Paris, 1980
Etude préparatoire photographie, tissu et dessin
Collés sur papier marouflé sur bois
86 x 72 cm
Achat 1980
Inv. 980.7.26
Un matin de septembre 1985, les Parisiens découvraient l’un des plus anciens ponts de la capitale emballé sous un tissu au ton champagne. Le pont neuf, reliant la rive gauche à la rive droite, symbole de l’âme historique de la ville, disparaissait sous 40 000 m2 de toiles et de cordage, pour réapparaitre aux yeux du public d’une manière unique. Un ouvrage datant du XVIe transformé en une œuvre d’art contemporain et éphémère.
Derrière ce projet colossal se trouve l’artiste d’origine Bulgare, naturalisé américain, Christo, auquel il est impossible de ne pas associer son épouse et partenaire artistique Jeanne-Claude Denat de Guillebon, née comme lui en 1935. Dans le milieu des années 1950, Christo, qui a fui son pays suite à des divergences politiques avec le pouvoir soviétique, s’installe à Paris. Formé de manière classique aux Beaux-arts de Sofia, il réalise des portraits dessinés ou peints pour gagner sa vie, la mère de Jeanne-Claude était l’une de ses clientes. Très admirative du talent du jeune artiste, elle décide de le présenter à sa famille, c’est ainsi qu’il fait la rencontre de Jeanne-Claude et que le duo se forme. Christo commence à développer son art dans sa chambre de bonne. Il travaille dans un premier temps sur une peinture matiériste inspirée de Dubuffet, avant de commencer à emballer toutes sortes d’objets quotidiens avec des tissus enduits. La première action significative du couple se déroule en 1962. Durant la nuit, un « rideau de fer » formé d’une accumulation de barils métalliques est érigé dans l’étroite rue Visconti à Paris. Démantelée par la police quelques heures plus tard, cette œuvre quasi performative dénonçait la construction du mur de Berlin. Elle est représentative du désir de l’artiste d’investir l’espace public et de faire vivre son travail dans un contexte environnemental et social. Souvent associé aux mouvements du Land art, ou au Nouveaux Réalistes avec qui il entretient des liens d’amitié, Christo ne s’est jamais revendiqué d’un quelconque groupe. Son langage artistique est celui de l’emballage. Bien qu’il ait travaillé sur de nombreux projets à échelle humaine, ce sont ses empaquetages monumentaux qui ont profondément marqué le public et le milieu artistique.
Les projets développés par Christo et Jeanne-Claude peuvent s’étendre sur plusieurs années. Emballer le Reichstag (1995) ou entourer les îles de la baie de Biscayne à Miami avec un tissu polypropylène rose (1983) nécessite un travail titanesque. En plus de produire tous les éléments explicatifs et logistiques, il faut également se confronter aux problèmes d’ordre politique, juridique et social. Dix années se sont écoulées entre le projet d’emballage du pont neuf et sa réalisation. L’œuvre n’est pas seulement le produit fini, mais l’ensemble du processus qui aboutit à sa réalisation. La force du travail de Christo et Jeanne-Claude réside dans le dialogue qu’il produit. Celui qui sert à convaincre les instances politiques et les riverains face à une proposition artistique hors nomes, mais aussi les discussions qui naissent sur place entre les passants, durant la courte période d’existence de l’œuvre. L’étude The pont neuf Wrapped, project for Paris, entrée dans la collection du Musée d’Art en 1980, est le témoin privilégié de ce projet temporaire, dont aujourd’hui, il ne reste plus de trace. Afin de garantir leur liberté artistique Christo et Jeanne Claude autofinancent en intégralité leurs créations par la vente de tous les travaux préparatoires, dessins, maquettes et photographies... "L’urgence d’être vu est d’autant plus grande que demain tout aura disparu... Personne ne peut acheter ces œuvres, personne ne peut les posséder, personne ne peut les commercialiser, personne ne peut vendre des billets pour les voir... Notre travail parle de liberté".
Si, pour l’époque, son travail semble osé et éminemment contemporain, il n’en reste pas moins classique. Comme l’explique l’artiste, il se place dans une tradition de représentation de ce pont dans l’art, comme l’a peint Renoir en 1872 et les autres artistes avant lui, mais avec des moyens actuels qui lui sont propres. Pourtant la toile est bel et bien présente, le tissu, les plis, le drapé et les jeux d’ombre et de lumière qui en résultent trouvent aussi une forte résonnance dans l’histoire de l’art. "À toutes les époques, l’utilisation des étoffes et de tissages a fasciné les artistes. Des époques les plus reculées à nos jours, la structure des tissus […] a joué un rôle important dans la peinture, la fresque, le relief et la sculpture en bois, en pierre ou en bronze. [..]. Le tissu - tout comme les vêtements et la peau – est une chose délicate. Il exprime la qualité unique de la fugacité", comme l’explique justement Christo. Le tissu agit comme une seconde peau, un habit qui uniformise la construction initiale pour révéler ses lignes, sa structure et son architecture. L’emballage provoque une métamorphose, il cache tout en dévoilant une dimension nouvelle du monument. L’œuvre n’existe que dans un contexte global, celui de la rue, celui de l’espace qu’elle investit et celui de l’environnement qui l’entoure. Pendant deux semaines elle transforme le regard du public, les incite au questionnement, au dialogue et les pousse à porter une nouvelle attention à ce qui les entoure.
Le 31 mai dernier, Christo s’est éteint à New-York, 10 années après Jeanne-Claude. Il travaillait sur un projet qu’il avait imaginé bien avant celui du pont neuf : l’emballage de L’Arc de triomphe à Paris. En parallèle va s’ouvrir l’exposition Christo et Jeanne Claude au Centre Pompidou le 1er Juillet. Elle retrace les années parisiennes du couple de 1958 à 1964. Malgré la disparition soudaine de l’artiste, le projet d’envergure d’empaquetage de l’Arc de triomphe devrait voir le jour à l’automne 2021.
Joyce Magna – assistante de conservation du patrimoine