(Paris 1850 – Brionne 1916)

Raphaël Collin

Portrait de Mademoiselle Rossolin, 1889

Huile sur toile, 148 x 97 cm

Don Strausz de Berly, 1934

Inv. 979.9.166

 

Dans les années 1880, la famille Rossolin se porte acquéreur de terrains plantés d’oliviers et de vignes et d’une propriété, la bastide Trucy, située sur la Corniche de Tamaris en bord de mer. Entre 1889 et 1891, M. Rossolin confie à l’architecte Roustan des réaménagements architecturaux, transformant ainsi la bastide en villa de style italien qui s’intègre parfaitement au nouveau paysage de la station balnéaire que devient Tamaris à la fin du XIXe siècle. La propriété prend alors le nom de « villa  George Sand » (en souvenir du séjour de l’écrivain en 1861).

Ce portrait peint en 1889 représente la fille de Monsieur et Madame Rossolin, Jeanne Marie, avant son mariage avec Monsieur de Berly en 1890.

 En 1934, sa fille, Jeanne, épouse Monsieur Strausz d’origine hongroise. Ce n’est qu’au décès de sa mère, la même année, qu’elle fait don de cette œuvre au Musée de Toulon. Un courrier, conservé dans nos archives, précise que ce tableau se trouve dans la villa Georges Sand lorsque Madame Strausz de Berly demande au conservateur du musée de « venir voir cette œuvre d’un peintre connu, avant son départ pour Paris (octobre 1934) ». Ce portrait, commandé par Monsieur et Madame Rossolin au grand portraitiste parisien Raphaël Collin, a pu être réalisé  dans la villa George Sand. En effet, des croquis de bord de mer et de nus féminins sur une grande plage de sable, retrouvés dans le fond d’atelier de l’artiste, pourraient laisser supposer un séjour de Raphaël Collin dans notre région.

Mademoiselle Rossolin se tient debout dans un intérieur. Elle porte une robe de bal en soie délicatement rayée dont les tons pastel s’harmonisent parfaitement avec ceux du paravent au décor naturaliste de fleurs et d’oiseaux. La toilette évoque sensiblement les manteaux de robe du XVIIIe siècle dans une version renouvelée. Les tons pastel et les retroussis rappellent les robes  à la polonaise tandis que le haut du vêtement, sans manche, dévoile un corsage de dessous et une délicate chemise de mousseline à petites manches ballon. Le tout est ponctué de nœuds en soie rose pâle. L’éventail, constitué de baguettes terminées par des plumes de cygne, est l’accessoire indispensable d’une dame de qualité pour un grand soir.

L’élégante silhouette du modèle se détache devant un paravent, élément de décor japonisant et devant une commode placée à l’arrière-plan sur laquelle on peut voir un lion surmonté d’une divinité bouddhiste en grès émaillé. Le lion représente la puissance de l’enseignement de la loi bouddhiste (Darma), il est le siège royal et la monture protectrice de bouddha. Kannon (le grand compatissant, bodhisattva de genre féminin) ou par exemple Monju-Bosatsu (le bodhisattva Manjusri) pourraient, parmi d’autres, être la divinité présente sur le tableau. Derrière le lion, se trouve une branche de cerisier en fleur qui évoque bien entendu la floraison des Sakura, fête traditionnelle japonaise en l’honneur du printemps. Cette fleur est un symbole important de la culture nippone ; elle est également utilisée en infusion, en remplacement du thé, lors des cérémonies de mariage pour garantir le bonheur entre les époux, (délicate allusion au futur mariage de Mademoiselle Rossolin).

On ne s’étonnera pas de voir cette mise en scène à une époque (1889) où l’art japonais est à la mode dans les milieux bourgeois et aristocratiques occidentaux. Mais au-delà de cette tendance au japonisme dans les créations artistiques du moment, des liens personnels unissent l’artiste au Japon. Il se qualifie lui-même de japonisant. Sa première occasion de côtoyer des oeuvres nippones fut lorsqu’il fréquenta l’atelier de Théodore Deck avec qui il collabore sur des céramiques  entre 1872 et 1889. Suite à sa visite de la section japonaise de l’Exposition universelle de 1879, et après sa rencontre avec le marchand Tadamasa Hayashi et le célèbre marchand d’art Samuel Bing, Collin entreprend de collectionner des masques Nô, quelques paravents, peintures sur soie, estampes et plus de quatre cents céramiques (aujourd’hui au Musée des Beaux-Arts de Lyon). Ces objets, conservés en grande partie dans son atelier, pouvaient être utilisés dans ses compositions picturales. Raphaël Collin fut aussi le maître de célèbres peintres japonais. Professeur de peinture à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, il joue un rôle déterminant auprès des peintres  Kuroda, Kume, Okada, considérés comme les pionniers de la peinture japonaise moderne.  L’univers pictural de Collin  leur offre des résonnances avec l’art japonais et a sans doute constitué un lien pour ces artistes qui étudient la peinture occidentale très éloignée de leur propre culture.

Ce portrait d’une subtile facture, aux couleurs claires et nacrées, à la touche ample et délicate, s’emplit d’une grâce et d’un raffinement en accord avec l’esthétique japonaise. D’une réalité photographique, il confirme la réputation « d’excellent portraitiste » de Raphaël Collin.

Brigitte Gaillard  - conservateur en chef des musées de Toulon

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