(Nantes 1956)

Jean-Charles BLAIS

La Honte, 1983

Diptyque

Huile et craie sur couches d'affiches arrachées

278 x 192 cm (chaque élément)

Achat en 1984

Inv. : 985.2.53

 

Le milieu artistique du début des années 1980 connait une nouvelle effervescence picturale, colorée et énergique, marquée par le grand retour de la figuration. En réaction avec l’art minimal, conceptuel et théorique des décennies précédentes, la jeune génération prend le contrepied et désire proposer un art illustratif ancré dans le quotidien, la culture populaire et l’environnement urbain.  L’art décomplexé et libéré, ne doit pas changer le monde mais y être pleinement intégré. Cette mouvance émerge dans différents pays, le graffiti aux États-Unis, les Nouveaux Fauves en Allemagne ou encore les Nouveaux artistes en Russie… Elle est caractéristique d’une période où se normalise l’idée de mondialisation et d’une ouverture particulière sur le monde. Les jeunes artistes veulent renouveler les sujets et thématiques à leur disposition. La bande dessinée, l’univers des super héros, la musique rock et punk nourrissent les créations de l’époque.

 

En 1981, un groupe d’amis, de longue date pour certains, participent à l’exposition Finir en beauté dans l’appartement parisien du critique d’art Bernard Lamarche-Vadel. Ce sont Robert Combas, Hervé Di Rosa, Rémy Blanchard, François Boisrond, Jean-Charles Blais, Jean-Michel Alberola, Jean-François Maurige et Catherine Viollet. C’est à cette occasion que l’artiste Ben va trouver une dénomination commune aux créations individuelles éclectiques de ses camardes : la Figuration libre. « Libre de quoi ? Libre de faire du laid/ Libre de faire sale […] Libre d’aimer Mickey, la bande dessinée et pas Lacan […] Libre de peindre sur n’importe quoi » Ben, figuration libre, 1982. Médiatisée, la figuration libre connait un succès rapide. Englobant une vingtaine d’artistes dans un premier temps, elle n’est finalement rattachée qu’aux noms de Combas, Di Rosa, Blanchard et Boisrond. Leurs productions sont souvent caractérisées de décomplexées ou provocantes.

Cette filiation au début de sa carrière, après sa sortie des Beaux-Arts de Rennes en 1979, a apporté à Jean-Charles Blais une reconnaissance du milieu artistique. Il souhaite faire de la peinture, mais en la désacralisant. Il troque la traditionnelle toile blanche contre des supports qu’il déniche dans la rue. Cette action, il la compare à une quête qui consiste à «récupérer des choses qui auraient un autre destin», non artistique, afin de «leur donner un destin pictural». Les années 1980 voient le développement d’une peinture colorée au revers d’affiches sauvages récupérées dans l’espace urbain. L’artiste y peint des personnages aux membres disproportionnés. Chaque tableau raconte une histoire qui n’a ni commencement, ni fin. C’est au gré des boursouflures du papier, du hasard des déchirures, que les traits prennent vie. Sa peinture intuitive laisse une part belle à l’improvisation et à l’intensité du geste. Jean-Charles Blais a sans cesse renouvelé ses propositions visuelles au cours de sa carrière, passant de la figuration à l’abstraction jusqu’à la dématérialisation. Les individus grotesques ont laissé place à des silhouettes monochromes. Les notions de figures, de fragment et le rapport à l’espace sont essentielles. Au fil de ses recherches les corps sont figurés, simplifiés puis suggérés grâce à des dessins découpés jusqu’à devenir des formes simplifiées à l’extrême. Son intérêt pour les nouveaux dispositifs, se traduit depuis les années 2000 par l’utilisation de l’outil numérique, qui lui donne la possibilité de questionner l’immatérialité et l’interactivité.

 

La Honte s’inscrit dans les productions qui ont contribué au succès de l’artiste. Les personnages imposants dominent les spectateurs. Cette impression est particulièrement renforcée par la grandeur des deux toiles constitutives de l’œuvre. La création sur grand format est une caractéristique commune aux productions de l’aire de cette nouvelle peinture figurative.  Les « hommes » peints par Blais sont au premier plan, sous le feu des projecteurs dans un espace rappelant une scène de théâtre.  Les gestes et postures paraissent caricaturaux, presque comiques. Ils semblent mal à l’aise, à l’étroit dans leur environnement. Les têtes, trop petites ou inexistantes, contrastent avec les corps gargantuesques. L’étrangeté qui en résulte permet à l’artiste de ridiculiser le sujet de son tableau et de diminuer son importance. Son style est très illustratif. L’artiste utilise ici les codes de la Bande dessinée. Les silhouettes de ses figures humaines, accentuées par des traits réalisés à la brosse, rappellent les cernés ; ces fameux contours épais qui mettent en valeur les personnages de BD. Le mouvement est signifié par un idéogramme, sorte de petites spirales noires sur le côté des danseurs. Les formes sont simplifiées. Avec son titre explicite, La Honte, et la mise en situation de personnages figuratifs, l’artiste questionne évidemment la notion de narration. La subtilité de son travail est de construire ses tableaux comme « un piège à sens interprétatif, volubile, mais ne menant finalement nulle part. »

«  Les titres, comme les figures, sont accidentels.  Je suis un artiste qui n’a pas d’idée, ni de sujet de tableau en tête, ni de projets. Ma peinture est sans intentions… »

Joyce Magna - Assistante de conservation du Patrimoine

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