Fugen Enmei Samantabhadra – Prolongateur de vie
Bois laqué, doré par endroit et polychromie
52 x 30 x 34 cm
Japon - époque Edo (1603-1868)
Style Kamakura
Legs Fauverge de French - Inv. : 961.3.346
Cette sculpture japonaise représente le Fugen Enmei (Samanthabhadra), forme très rare du Fugen Enmei. Notre objet, en bois laqué, avec polychromies et dorures partielles, est de la période Edo (1603-1868) et du style Kamakura. Il représente le Fugen Enmei aux quatre gardiens et quatre éléphants blancs. La divinité possède vingt bras qui portent chacun normalement un attribut différent ou un instrument rituel pour indiquer sa capacité illimitée à sauver. Il est assis sur un piédestal de lotus, soutenu par quatre éléphants. Sous les éléphants, se trouve la roue qui symbolise le Dharma, la loi ou enseignement de Bouddha. Sur la tête de chacun des éléphants, un gardien est positionné. Ces éléphants sont les symboles des quatre points cardinaux, les gardiens sont les dieux-rois de ces mêmes régions. Les dorures soulignent la présence des fleurs de lotus, sur le trône et les socles qui soutiennent les pattes des éléphants. L’équilibre entre le blanc des éléphants et les couleurs sombres des gardiens, très expressifs par leur posture et leur expression, identifient l’appartenance de cet objet au style dit du réalisme kamakura.
Le réalisme kamakura
Le terme kamakura fait référence à une période de l’histoire japonaise qui se déroule de 1185 à 1333. Elle est caractérisée par la conquête du pouvoir politique par l’aristocratie guerrière. Elle fut également une période importante pour le développement du bouddhisme nippon avec l’apparition de différentes écoles (Zen, Terre pure, Lotus…). À la suite des destructions de temples et des sculptures provoquées par la guerre de Gempei (1180-1185), à la fin de la période Heian, les reconstructions ont été nécessaires afin de réorganiser le cadre social et la vie religieuse des Japonais. Les œuvres les plus fascinantes de l'époque ont été créées au XIIIe siècle, par la famille Kei, dirigée par Kokei et son fils Unkei. Inspiré à la fois par l'idéalisme exquis des œuvres de la période Nara japonaise (710 – 794) et par le réalisme de la sculpture des Song chinois (960-1279), la sculpture de la période Kamakura se dénote par une présence corporelle intense.
Le style est souvent appelé «réalisme Kamakura», mais le terme réalisme ne doit pas être traduit comme une représentation et un rendu fidèles du naturel. Bien qu’il soit fait référence à une étude anatomique minutieuse, cette représentation se caractérise par un rendu physique exagéré, par des pauses et des expressions extrêmement marquées. Les énormes figures gardiennes créées par Unkei et d'autres artistes Kei pour le Nandai-mon (Grande porte sud) au temple Todai à Nara sont l'incarnation de ce style. Avec des yeux exorbités, des veines saillantes et des poses théâtrales quasi-grotesques, ces œuvres marquaient les croyants à l’entrée des temples ou ces sculptures étaient visibles par tous. Nous retrouvons ces caractéristiques « naturalistes », à une échelle moindre, sur le Fugen Enmei du musée dans la représentation des quatre gardiens et par les têtes des éléphants qui semblent sourire.
Fugen Enmei, Samantabhadra
Fugen (Samantabhadra) est le bodhisattva de la vertu universelle. Sur notre oeuvre, il apparaît ici sous sa forme ésotérique de «prolongation de la vie» (enmei). Fugen Enmei est le bodhisattva qui préside le Fugen enmei ho un rituel destiné à demander une prolongation de la vie, souvent dans le contexte d'un rituel d’État, par exemple pour l'empereur Shirakawa en 1075. Deux formes existent dans la tradition japonaise pour le Fugen Enmei, une première, représentant le Fugen Enmei avec deux bras, assis sur un lotus soutenu par trois ou un seul éléphant à trois têtes. Il tient un vajra à cinq dents dans la main droite et une cloche dans la main gauche. Le Fugen enmei du musée est donc une variante très rare des représentations classiques. L’accent est ici mis sur l’omniprésence de sa monture éléphantine. Elle n’est pas ici limitée à la simple représentation symbolique de l’éléphant blanc à six défenses. Les quatre éléphants et leurs quatre gardiens sont en lien avec les représentations anciennes des arhat. Leur nombre était limité, la tradition parle au Japon du groupe des Quatre Orients constitué de quatre arhat éminents. Ce chiffre passa à seize puis à dix-huit. Le groupe des seize comprenait l'arhat Panthaka présent dans notre collection et présenté précédemment sur ce site. Fugen est lié à Monju, le bodhisattva symbole de la sagesse et de l’illumination. Tous les deux avec le bodhisattva Sakyamuni constitue la triade shaka sanzon. Certaines traditions font de Fugen et Monju des frères. Point commun, chacun ayant une monture animale : le shishi (Lion de Bouddha, chien de Fô) pour Monju, soit le lion qui est le symbole de la prédication invincible du Dharma ; un éléphant blanc à six défenses pour Fugen. Cet animal, qui au sein de la tradition indienne possède une valeur talismanique importante et pour le Bouddhisme, il est, entre autre, l’animal qui perfore le sein de Maya et qui féconde ainsi la mère de Bouddha. Dans le bouddhisme Mahayana japonais Fugen Enmei tient un rôle central dans le pèlerinage Kegonkyouo à Nara dévoué aux cinquante-trois saints conservés au temple de Toudaiji. Fugen figure dans différents groupes de divinités, dans celui des Seize divinités de bon augure (Aeon gengou juurokuson), parmi les Seize grands bodhisattvas (Juuroku daibosatsu) ou encore au sein des Treize bouddhas Juusanbutsu qui président le service commémoratif organisé le 28e jour après la mort d’une personne.
Frédéric Pédron – responsable du Musée des Arts Asiatiques