Carte de membre de Jean Aicard
De Société des gens de lettres
Circa 1895 - 1896
Cuir, carton, photographie
11cmx7cmX2cm
Musée Jean Aicard – Paulin Bertrand
Inv. : 2012.0.119
La Société des Gens de Lettres est fondée par Louis Desnoyers, directeur du journal Le Siècle, le 31 janvier 1837, avec le soutien d’Honoré de Balzac. Après plusieurs réunions, les écrivains peuvent tenir le 16 avril 1838 leur première assemblée générale. Parmi ces quatre-vingt-cinq gens de lettres, on retrouve Balzac, Victor Hugo, George Sand, Théophile Gautier ou Alexandre Dumas, toute la jeune garde de la littérature française. Ils élisent François Villemain comme premier président.
La société a alors deux objectifs : la défense des intérêts moraux et matériels de ses membres et le secours aux écrivains nécessiteux. Pour cela, elle dispose des sommes qu’elle prélève comme droits de reproduction dans les journaux. Par son adhésion, chaque auteur abandonne en effet ses droits à la Société, qui joue donc le rôle d'agent auprès des journaux et conclut directement des contrats avec eux.
L’affaire du Balzac de Rodin
L'idée d'un monument à Balzac avait été lancée par Alexandre Dumas père, immédiatement après la mort de l’auteur de La Comédie humaine. La Société des gens de lettres, dont Zola est président une première fois de 1891 à 1894, relance le projet et passe commande d’un monument à Balzac au sculpteur Henri Chapu, qui décède prématurément quelques mois plus tard. Le projet prévoyait une statue de 3 mètres de hauteur, livrable en 1893. Zola se tourne alors vers Auguste Rodin pour reprendre le projet. Le sculpteur accepte avec enthousiasme. L’artiste est vite obsédé par cette commande. Ses recherches et études sur la forme à adopter sont incessantes et les retards s’accumulent. Après une visite à l'atelier de l'artiste, la commission chargée de vérifier l'état des travaux ressort consternée. Le Comité des gens de lettres est choqué par l'aspect inachevé des propositions. Cependant, grâce à l'intervention de Zola, Rodin obtient deux ans supplémentaires pour son travail. Mais, le mandat de Zola à la tête de la Société des gens de lettres se termine et il prévient son successeur, le poète Jean Aicard : «J'ai laissé pendante à la Société une question grosse d'orage, la question de la statue de Balzac. Vous allez avoir les plus gros ennuis je vous en préviens amicalement.» En 1894, Jean Aicard succède pour quelques mois à l’auteur des Rougon-Macquart à la présidence de la SGDL. Une nouvelle délégation du comité déclare la statue «une masse informe», après une visite à l'atelier de Rodin. Jean Aicard propose à la Société des gens de lettres d'intervenir personnellement en écrivant à Rodin. L'artiste répond : «La haute idée que j'ai de ma responsabilité d'artiste a été sans cesse présente à mon esprit. Donnez-moi confiance et crédit ». Mais devant les insistances de certains confrères, Jean Aicard démissionne de sa charge, suivi par sept membres du comité. Il justifie sa démarche dans L’art au-dessus de l’argent (Le Figaro, 3 décembre 1894). Aurélien Schom succède brièvement à Jean Aicard, avant que Zola retrouve son siège entre 1895 et 1896. Pour autant rien n’y fait. La statue n’est toujours pas livrée. Finalement, en 1897, le comité met le sculpteur en demeure de livrer la statue de Balzac. Ce qu'il fait enfin, en l'exposant au Salon des artistes français de 1898. Le scandale est complet et la recéption du public sarcastique. Pour autant, Rodin reçoit le soutien de nombreux intellectuels et artistes progressistes, engagés au même moment aux côtés de Dreyfus et Zola : pensons à Clemenceau, Monet, Courteline, Anatole France, Charles Péguy, Emile Gallé, André Gide… Ceux-ci avaient déjà réuni assez de signatures et d’argent pour envisager d’édifier le monument en bronze dans Paris, quand Rodin refusa leur soutien. Avant tout soucieux de son œuvre, l’artiste demeurait indifférent à l’affaire Dreyfus, et craignait de voir sa sculpture associée au combat politique majeur de l’époque. Il préféra retirer son plâtre à Meudon dans sa résidence-atelier. Pour mémoire, en 1908, le photographe Edward Steichen viendra prendre plusieurs clichés de la statue (les fonds photographiques de la Ville conservent d’ailleurs une épreuve originale de cestte séance historique). Il faudra attendre juillet 1939 pour voir le grand bronze de Rodin être érigé dans la capitale, au carrefour des boulevards Raspail et Montparnasse.
La carte de membre de la Société des gens de lettres présentée ici est tout à fait représentative de la période. Outre la signature de Jean Aicard, on retrouve l’autographe d’Emile Zola, sans oublier celui d’Edouard Montagne, dont l’Histoire de la Société des gens de lettres, faisait autorité depuis sa parution en 1889. Signalons également le portrait photographique de Jean Aicard, en format carte de visite, signé Eugène Pirou (1841 – 1909). Portraitiste de célébrités, il se fit connaître comme le photographe des évènements de la Commune en 1870.
Jean-Pascal Faucher – responsable du musée Jean Aicard - Paulin Bertrand