Cigale aux ailes ouvertes
Dernier quart du XIXesiècle
Inv. : 2012.0.121
Musée Jean Aicard - Paulin Bertrand
Villa les Lauriers roses
Cette cigale aurait été offerte à Jean Aicard par Frédéric Mistral. Curieusement, on a souvent voulu opposer les deux grands poètes. Pourtant, une même passion les unissait : la Provence. Depuis leur première rencontre les choses étaient claires : Jean Aicard expliqua à Mistral que s’il avait choisi de ne pas rejoindre le mouvement félibréen *, et de n’écrire qu’en langue française, c’est parce qu'il voulait décrire la vie, les gens et les mœurs de son pays natal afin de le faire connaître au plus grand nombre de ses concitoyens. Et Mistral comprend ses motivations, lui qui publie ses principales oeuvres en édition bilingue provençal-français, (et pourquoi ce choix, sinon pour être lu de tous les Français). De là, se dé́veloppera une grande amitié́ et, l’auteur de Mireille rendra plusieurs visite au poète toulonnais dans sa villa des Lauriers Roses. Ce lien durable ne prendra fin qu’’à la mort de Mistral le 25 mars 1914. La bibliothèque du Musée possède d’ailleurs plusieurs livres de l’auteur de Mireille, flanqués de fraternelles dédicaces, témoignant de cette complicité.
En 1887, Jean AICARD envoie à MISTRAL ce quatrain :
« J’ai mis ma main dans ta main ferme
Mon grand frère aîné
Et mon cœur que ma main renferme
Je te l’ai donné. »
Mistral le remercie par ces mots :
« Mon cher Aicard,
[...] Votre cœur de franc poète provençal est tout entier dans cette embrassade. J’ai été profondément touché. [...] Tout à vous fraternellement ».
A cette date, Jean Aicard est déjà célèbre. Ses Poèmes de Provence, parus en 1874 et couronnés par l’Académie Française, lui ont amené un succès national. Sur la boite, dans laquelle se trouve l’objet, on trouve gravé Tout l’été, l’avant dernier poème poème extrait du recueil :
« Je suis la petite Cigale
Qu'un rayon de soleil régale
Et qui meurt quand elle a chanté
Tout l'été.
Tout l'été j'ai redit ma chanson coutumière :
Mais la bise est venue : adieu l'azur vermeil !
Je fus l'âme des blés vibrant dans la lumière :
Je reverrai comme eux la gloire du soleil.
Je suis le poète qui t'aime ;
Je veux qu'on dise, ô mon emblème :
Il fut Cigale : il a chanté
Tout l'été.
Tout l'été d'une vie ardente et sans ténèbres,
Je veux chanter les fleurs, les blés, l'azur, l'amour,
Et quand viendront l'hiver et les souffles funèbres
Mourir dans un espoir de gloire et de retour ! »
La cigale, loin du symbole d’insouciance et de frivolité de la fable de La Fontaine, reste un des emblèmes majeurs de la Provence. En Grèce, elle est consacrée à Apollon, le dieu poète couronné de lauriers et rappelle le cycle complémentaire lumière-obscurité puisqu’elle ne chante qu’avec le jour. Animal emblème des Félibres il sera donc également celui de Jean Aicard. Elle se retrouve partout dans la maison du poète: peinture, sculpture, décoration de vaisselles et dans de multiples poèmes. Ici, l’insecte aux ailes déployées vole vers la gloire immortelle du poète académicien.
Jean-Pascal Faucher , responsable du Musée Jean Aicard – Paulin Bertrand
(* Le Félibrige est une association fondée en 1854, par Frédéric Mistral, Joseph Roumanille, Anselme Mathieu , Théodore Aubanel, Jean Brunet, Paul Giéra et Alphonse Tavan,« pèr apara, manteni e enaussa la lengo, la culturo, la civilisacioun e l’identita di païs d’Oc » (défendre, maintenir et glorifier la langue, la culture, la civilisation et l’identité des pays d’Oc).