Léon Vérane à Solliès-Ville

Dans les années trente, Léon Vérane et sa femme Marie souhaitent vivre à la campagne, dans les environs de Toulon. Ils achètent une maison à Solliès-Ville, dans ce village perché sur un contrefort du Coudon, qui surplombe de ses toits de tuiles ocres la vallée du Gapeau et ses vergers fuyant, au loin, vers la ligne douce et bleutée des Maures.

 

De l’étroite place
Aux micocouliers
Le regard embrasse
Vergers, espaliers,

 

Coteau que la guigne
Rougit au printemps,
Restanque où la vigne
Tord de longs sarments.

 

C’est là Solliès-Ville,
Ce rocher hautain
Où coulent faciles
Les jours que me file
Un heureux destin.                                 
« Solliès-Ville », La Calanque au Soleil, 1946

 

Et qu’importe si Léon doit dévaler le sentier qui descend à la plaine et prendre l’autobus ou le train pour se rendre à son bureau, à la mairie de Toulon ! « A Solliès-Ville tu voulais vivre. Des chemins qui y mènent, tu préférais celui bordé de haies qui s’enfonce dans le bois, où l’on découvre tout d’un coup un bassin d’eau vive. Tu t’asseyais sur ses bords et tu me disais des poèmes auxquels, dans les branches, répondaient les oiseaux. […] Oui, Solliès-Ville c’était ton village. Tu rêvais de ses restanques d’oliviers lorsque – plus tard – tu voulus conquérir Paris », rappelait son cousin Jean Jacob, dans la plaquette éditée par Les Amis de Solliès-Ville, au printemps 1965, en « Hommage à Léon Vérane ».

Solliès-Ville, un vrai bout du monde, et d’ailleurs, pour en partir, le visiteur doit revenir sur ses pas. Léon Vérane s’en amuse et, lui qui a été cavalier, baptise du nom de « Tournebride » sa nouvelle demeure. Une occasion aussi, pour ce jongleur de mots, de suggérer qu’il souhaite changer une façon de vivre jusque là quelque peu débridée.

Déployant sa façade aux ombrages des grands micocouliers de la place « tout palpitants de coucher d’oiseau », le Tournebride offre son hospitalité fraîche et chaleureuse à de nombreux amis. Il résonne souvent de la joyeuse clameur « d’une cohorte de rimeurs », que rapporte le journaliste Raoul Noilletas, en évoquant la trace de ces agapes visible sur les murs « passés au lait de chaux et couverts de distiques, de quatrains, de strophes, voire de sonnets dans un foisonnement de signatures qui devinrent illustres, comme celle de Francis Carco, Muselli, d’Ormoy, Tristan Derème, Chabaneix … au point que ce relais des muses ressemblait à une sorte de livre d’or mural, où la poésie fantaisiste avait crayonné une manière d’anthologie ».

Et si Léon Vérane ouvre sa maison et offre sa table, lorsque la joie retombe et que les amis sont partis, il parcourt durant des heures les sentiers de la « colle ». Le poète entre en communion avec la nature. Grand « escaladeur de restanques », comme se plaisait à le dire Jean Jacob, « il connaissait tout de la forêt, le moindre lichen, le plus petit arbuste se paraît de noms latins, évocateurs d’une sylve qu’il connaissait admirablement ; c’était un coureur de bois, il abattait ses trente kilomètres par jour et connaissait toutes les variétés de champignons. Il m’en a appris au moins trente, avec des noms latins, français et provençaux et les recettes pour les apprêter », se souvenait Marthe Baboulène.

Mais ces beaux jours finissent avec la mort de Marie, en 1941. Marie, qui souhaitait rester à Solliès-Ville, dans le cimetière de campagne que longeaient, lors de leurs promenades, Léon et son cousin. « La porte était souvent ouverte, mais nous n’entrions pas. Les morts nous faisaient un peu peur. Nous passions vite ».

 

J’aurais aimé pour toi, dans ma cité Ligure,
Le marbre où le sculpteur éveille des figures
Et l’ombrage noir du laurier.

 

Mais tu n’as souhaité que ce roc solitaire
Où l’aigle et l’aquilon le soir prennent leur erre :
J’ai respecté ton vœu dernier.                          
 « Tombeau », La Fête s’éloigne, 1945
 

 

C’est dans ce rustique cimetière que Vérane repose aujourd’hui. Lui qui a chanté « la flûte des satyres » et « le laurier sonore », le voici maintenant en compagnie de ses dieux tutélaires, Pan et Apollon, au pied de ce vieux cyprès et du laurier planté par ses amis après sa mort, le 10 novembre 1954. Et la commune, pour garder la mémoire de son hôte, a donné son nom à une place du village.

Au cours de ce demi siècle, les amis sont partis à leur tour, mais d’autres sont venus. Chaque année, au petit cimetière de Solliès-Ville, l’association des « Amis de Léon Vérane » rappelle son souvenir et de jeunes poètes lui offrent l’hommage de leurs vers, le 10 novembre, jour de la saint Léon.

 

Si, gardiens de ma mémoire,
Plus tard, à l’assaut des corbeaux,
Vous opposez telle victoire,
Tel geste porteur de flambeaux ;

 

La nuit pour moi sera moins noire
Au creux humide du tombeau
Puisque des mains attentatoires
Vous garderez le vert rameau.

 

Et l’élan de la colonne,
Alors qu’un généreux automne
Charge les arbres d’ambre et d’or,

 

Si par vous, de quel bloc surgie ?
Dans l’azur monte l’effigie,
J’ignorerai tout de la mort.                                                    
« Si, gardiens… », Ibidem

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