Grande Jetée, sa durée de vie prolongée de 100 ans
Il aura fallu 3 ans et 122 000 tonnes d’enrochements pour conforter une Grande Jetée déstabilisée par les coups de mer. Plus de 600m ont été « reprofilés » et chargés en rochers de calcaire. Un aménagement et un chantier d’envergure qui ont été menés dans une démarche de durabilité.
Depuis 1881, sa silhouette longiligne tel un trait qui affleure au ras de la Méditerranée, est bien connue des marins. Séparant la rade des Vignettes de la Petite Rade, elle est le symbole de l’entrée dans le port de Toulon. Battue par les vents et les coups de mer, sa carapace pourtant toute refaite suite aux bombardements de la 2e guerre mondiale affichait, sur sa partie émergée, de larges brèches, tel un peigne édenté.
Depuis le mois de mars, elle offre un tout autre visage aux navigateurs qui franchissent la grande ou la petite passe. Quatre grandes zones les plus endommagées – nord, centre, sud 1 et sud 2 – ont été entièrement refaites. En tout 600m sur les 1 200m que compte l’ouvrage ont été confortés. Les blocs de béton endommagés ont été retirés. Le cœur a été « reprofilé » pour respecter les normes actuelles de construction. La gangue extérieure a été rechargée en rochers de calcaire blanc qui offrent un contraste saisissant entre les parties anciennes noircies par le temps.
122 000 tonnes d’enrochements et un nouveau phare
Débutés en mai 2019, les travaux ont duré trois ans. 122 000 tonnes d’enrochements de 100 kg à 5 tonnes ont été superposés pour colmater les ouvertures. L’acheminement des matériaux qui s’est fait par voie maritime aura nécessité 94 voyages. Portant lui aussi les stigmates du 2e conflit mondial, le phare tribord et le musoir sur lequel il reposait ont été, pour le premier retiré et pour le second démoli et reconstruit. De même, les anciens supports d’artillerie ont été supprimés.
Sur cette partie appelée lors des travaux, sud 2, ne subsiste qu’un épaulement d’origine : il servait à dissimuler un navire torpilleur. Le rôle actuel de la Grande Jetée est bien loin de celui qu’il avait lors de sa création. Jadis ouvrage de défense, elle fait aujourd’hui office de brise houle, protégeant les infrastructures portuaires militaires et civiles de la rade. Elle a notamment permis le développement des activités économiques et touristiques qui bordent la zone littorale allant de Toulon à Saint-Mandrier.
« Il était donc nécessaire de préserver la digue à la fois sur sa partie visible mais aussi dans sa partie immergée », a souligné Hubert Falco, maire de Toulon et président de la métropole Toulon Provence Méditerranée (TPM) qui avec le Ministère des Armées et le Conseil départemental du Var sont cofinanceurs d’une opération dont le montant s’élève à 21 millions d’euros (60% pour le Ministère des Armées, 20% pour la Métropole et 20% pour le Département)
La Grande Jetée s’inscrit dans une démarche de durabilité
« Des aménagements ont été réalisés de manière à préserver la biodiversité », a indiqué le vice-amiral d’escadre Gilles Boidevezi, préfet maritime de la Méditerranée lors de l’inauguration de l’ouvrage, ce mardi 21 juin. Les investigations environnementales menées en amont des travaux au titre de la Loi sur l’eau ont montré la présence, sur la zone du chantier, de deux espèces protégées : les dattes de mer et un herbier de posidonie.
« Leur présence ont conduit l’Établissement du service d’infrastructure de la défense (ESID) à privilégier l’emploi d’enrochements calcaires pour favoriser le développement des dattes de mer. Pour protéger les feuilles de posidonie, un rideau bulle a été dressé de manière à former une barrière anti-turbidité entre le chantier et l’herbier », a précisé le Préfet maritime.
De plus, des équipements des cuvettes de type « tide pool » pour les cytoseires (algue touffue qui forme des tapis végétaux roux) et des dispositifs de nidification des poissons ont été installés pour compenser l’impact environnemental des travaux. Ces équipements seront suivis pendant 10 ans pour juger de leur efficacité.
Ainsi confortée, la Grande Jetée voit sa durée de vie prolongée de 100 ans.
En 1689, Vauban pose le principe de protéger la rade de Toulon ouverte sur le large, non pas des assauts de la houle, mais des navires ennemis. Son projet prévoit la construction d’une estacade en bois entre la Tour Royale dite Grosse Tour et le Fort de Balaguier. L’entrée en serait fermée la nuit. Son projet est rejeté, mais il revient sur la table en 1742, suite aux tensions entre la France et l’Angleterre. L’estacade sera finalement réalisée entre 1843 et 1845, mais démolie en 1871 car jugée insuffisante.
Le Ministre de la Marine décide la réalisation d’une jetée en pierre entre le Mourillon et Saint-Mandrier. Elle est destinée à protéger la Petite Rade d’une intrusion et de torpiller les vaisseaux au mouillage. Débutés en 1877, les travaux s’achèvent en 1881. Il aura fallu près de 300 000m3 d’enrochement pour construire la digue, les rochers provenant des falaises de Sainte-Marguerite. Les extrémités sont équipées d’un musoir, d’une plateforme et d’une maison où loge le gardien de phare.
En 1932, la grande jetée est en partie reconstruite : des blocs de béton de 2m x 2m x 4m ont été installés en couronnement sur les enrochements. Le musoir sud est maçonné sur 8m de haut et équipé d’un nouveau phare vert qui marque l’entrée tribord du port qui restera en place qu’à son remplacement fin 2021. Ces superstructures n’ont pas résisté aux bombardements de la 2e guerre mondiale et seront en partie remises en état jusque dans les années 60.
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